La course du siècle
Les 24 heures du Mans 1967 marquent le sommet du duel qui oppose Ferrari, le David de Maranello et Ford, le Goliath de Detroit. Cette édition prend une dimension qui dépasse le simple cadre du sport automobile. C'est le choc de deux continents, le génie latin opposé à la brutalité des cows boys. Une foule de plus de 300 000 personnes assiste au dernier acte du duel Ford - Ferrari qui marquera à jamais l'apogée des courses d'endurance.
Ford, Ferrari, Chaparral, ou ... ?
Le match Ford - Ferrari est arbitré par les Chaparral, Lola, Mirage, et Porsche. Les constructeurs français Matra, Alpine, CD se battent eux, pour une victoire de catégorie ou à l'indice énergétique. Les forces en présence entre les deux favoris sont nettement plus équilibrées que l'année précédente. En catégorie "Prototypes" Ford aligne quatre MK IV secondées par trois MK IIB. Ferrari de son côté engage huit voitures: quatre P4, trois P3/4 et une P2 semi-officielles.
Derrière les deux grands, Chaparral fait figure d'outsider et d'attraction avec ses 2F reconnaissables à leur grand aileron. La tâche sera plus difficile pour les deux Lola T70 moteur Aston Martin, rapides mais peu fiables et pour les deux Mirage barrées en puissance par leur "petit" moteur Ford 5 litres. Porsche avec deux nouvelles 907 profilées ainsi que deux 910 et deux 906 est largement favori en catégorie deux litres face aux deux Matra 630 à moteur BRM. Comme de coutume, la présence française dans les petites cylindrées est forte avec pas moins de huit Alpine Renault et deux CD Peugeot. Elles devront faire face à l'habituelle opposition britannique (Lotus, Marcos, Austin Healey, Costin).
Les records vont tomber
Inchangé depuis 1956 au lendemain du terrible accident de 1955, le circuit mesure 13,461 km. En 1966, le cap des 200 km/h de moyenne a été dépassé et on attend encore mieux cette année. Le record de la piste établi aux essais d'avril par le regretté Lorenzo Bandini disparu au Grand Prix de Monaco, en 3'25"5, laisse augurer de nouvelles prouesses. La moyenne au tour dépasse désormais 235 Km/h, et les plus rapides dépassent les 350 km/h dans les 6 km de la ligne droite des Hunaudières.
Ford de justesse en pôle position
Les performances des Ferrari P4 avaient été tellement impressionnantes en début de saison qu'elles ont été souvent données favorites contre les Ford, qui ne bénéficiaient pas d'une mise au point aussi poussée. Effectivement, durant les deux séances d'essais un vent de panique souffla sur l'équipe Ford dont les voitures stoppaient les unes après les autres avec leur pare-brise fendu. Mais ce serait méconnaitre l'efficacité de la puissante organisation de Ford. Des ingénieurs spécialistes furent requis en toute hâte, des fabrications furent lancées et amenées par avion spécial. Mais c'est la Chaparral de Phill Hill qui va pulvériser le record de la piste en 3'24"7. L'affaire semble entendue quand dans les dernières minutes de la séance, alors qu'il fait déjà nuit, Bruce Mc Laren s'empare in extremis de la pôle position en 3'24"4.
A 16 heures, Monsieur le ministre Misoffe donne le départ sous un ciel sec mais couvert. Les 54 pilotes traversent la piste, se jettent à bord. La Ferrari de Rodriguez est la première à bouger mais c'est la Ford MkIIB bleue ciel de Bucknum qui prend la tête. La Chaparral n°7 de Mike Spence, les MkIV de Bianchi et Hulme restent sur place; leurs pilotes ajustent leur ceinture de sécurité avant de démarrer.
Bucknum est déchaîné et à la fin du premier tour, il passe avec sept secondes d'avance passe en tête au premier passage. Après 18 tours en tête, Bucknum est le premier à ravitailler. Il laisse le champ libre aux MkIV puis à la Chaparral à la faveur des arrêts aux stands. Hulme sur Ford MkIV établit le record du tour en 3'23"6, qui est aussi le nouveau record de la piste. Ce chrono donne une idée du rythme effréné. Mais à vouloir trop en faire, Lloyd, l'équipier de Hulme envoie sa Ford dans le bac à sable. On note le premier incident sérieux. Juste après son ravitaillement, la Ford GT40 de Salmon prend feu au freinage de Mulsanne, brûlant sévèrement son pilote.
La Ford n°1 en tête à 18 heures
Après deux heures de course, la Ford MkIV n°1 des américains Gurney/Fyot prend la tête pour ne plus la quitter. Suivent la Chaparral n°7, deux autres MkIV et à la 5ème place, la première Ferraride Scarfiotti/Parkes. A la 3ème heure, seules la Chaparrral, la MkIV de McLaren/Donohue et la P4 de Scarfiotti/Parkes restent dans le même tour. Mario Andretti relaie Lucien Bianchi sur la MkIV n°3 un peu attardée. L'américain égalise le record du tour de Hulme au dixième près, du jamais vu au Mans.
Alerte au milieu de la nuit
Ford n'est pourtant pas à l'abri et l'équipe américaine frise la catastrophe à 3 heures 30 du matin alors que les MkIV occupent les trois premières positions. Soudain toutes les lumières jaunes se mettent à clignoter devant les tribunes. Andretti est sorti de la piste au freinage des S du Tertre Rouge. McCluskey qui le suivait à 30 secondes s'est écrasé dans les fascines pour l'éviter, tout comme Schlesser qui arrive sur les débris sans voir les drapeaux et termine sa course dans les fascines.
En outre, McLaren perd beaucoup de temps sur des ennuis d'embrayage. Contre toute attente, la MkIV de Gurney/Foyt ne baisse pas la cadence, tourne comme une horloge et possède cinq tours d'avance sur la Ferrari P4 de Parkes/Scarfiotti.
L'erreur tactique de Ferrari
Respectant les consignes de prudence et refusant d'envoyer au moins une voiture dans le sillage des Ford qui menaient le train en tête, les Ferrari se sont laissées décoller petit à petit. Lorsque le dimanche matin Franco Lini fit le point de la situation et décida de lancer Parkes à l'assaut de la dernière MkIV, il était trop tard. Foyt et Gurney comptaient cinq tours d'avance et il n'était plus possible de les pousser pour pouvoir espérer les faire casser.
La Ford rouge pouvait se permettre de perdre plus de dix secondes au tour sans dommages et espérer voir leur adversaire s'épuiser. Erreur tactique certes, mais insuffisance mécanique aussi, car le record établi aux essais d'avril par Lorenzo Bandini à 3'25"5, fut battu de deux secondes durant la course, ce qui prouve que les Ford allaient plus vite que les Ferrari. même dans la forme où elles étaient lors des essais d'Avril.
Ford, Ferrari, Porsche, Alpine à l'arrivée, Chaparral, Mirage, Lola, Matra out !
AJ Fyot est le premier pilote qui remporte les deux courses les plus importantes de l'année: Indianapolis et les 24 Heures du Mans, à quinze jours d'intervalle. Avec Dan Gurney, ils se sont relayés au volant de leur Ford MkIV pour parcourir 5 233 kilomètres en 24 Heures. Triomphe 100% américain de Ford et des pilotes qui ont tourné très vite sans commettre la moindre faute. Ils pulvérisent tous les records à 218,038 km/h de moyenne.
C'est un exploit qui fait date dans l'histoire de la course l'automobile. Mais il faut dire aussi combien fut impressionnante la prestation des Porsche dont la 907 à moteur 2 litres, se permit de tourner à peu près aussi vite sur les 24 heures que le vainqueur de l'an passé. Ferrari sauve l'honneur en se placant aux deuxième et troisième places. Alpine termine avec 4 voitures mais ne remporte pas le classement à l'indice. Pourtant si rapide aux essais, aucune Chaparral ne franchira la ligne d'arrivée, pas plus que les Mirage, éliminées très tôt, ni que les Lola et Matra.
Les films de la course