Un triple adieu
En 1971, Le Mans disait trois fois adieu. Adieu définitif à une formule de départ déjà bien malmenée l'année précédente. Adieu à un circuit qui connaîtra dès 1972 un nouveau visage. Adieu aux voitures Sport 5 litres coupables de "déviationnisme monstrueux".
917 contre 512, pareille affiche aurait été largement suffisante si de chaque coté les chances et les moyens s'étaient montrés équilibrés. Ces 24 heures manquant d'intérêt, le public étranger en particulier est venu beaucoup moins nombreux que les années précédentes. Les grèves au Mans et à la SNCF, les conditions météo incertaines ont aussi joué un rôle non négligeable dans la désaffection des spectateurs.
Le duel Porsche-Ferrari à armes inégales
Face à six Porsche 917 bien officielles malgré la variété et la fantaisie de leurs livrées, on ne pouvait véritablement compter que deux Ferrari 512 M spéciales sur les neuf 512 engagées par les clients de l'usine. Étouffée par des grèves, Maranello n'a pu fournir que deux moteurs de rechange et Pescarolo a du prendre le départ avec le moteur que Penske avait démonté de sa voiture à l'issue des essais. Une fois de plus, dans une course qui, par sa longueur, autorise tous les bouleversements et provoque toutes les surprises, il allait être prouvé une fois de plus que les clients les mieux organisés de la Scuderia ne pourraient pas grand chose contre les véritables associés ou porte drapeaux de Stuttgart que sont les Team Martini ou Gulf de John Wyer.
20 Porsche en GT
Avec 20 voitures sur les 22 engagées en catégorie GT, Porsche est en position de force pour briguer la victoire. Seules deux Chevrolet Corvette de philosophie très différente avec leur gros V8 de 7 litres, peuvent contester cette suprématie. La Ferrari 365 GTB Daytona n'ayant pas encore été fabriquée en nombre suffisant, est alignée en Sport. Elle sera dans les années à venir la voiture à battre.
Le nouveau départ lancé est donné à 15h50 par l'ambassadeur des Etats-Unis qui va "doubler" Steve McQueen, prévu à l'origine, mais qui est retenu sur un tournage en Arizona. La Porsche 911 bronze pilotée par Fernand Tavano va démarrer lentement suivie par la double file indienne des 49 voitures. Cinq minutes plus tard, une longue chenille ondulante débouche des courbes de Maison-Blanche, brillante des reflets du soleil sur les pare-brise. Tavano négocie la chicane Ford, accélère, et se rabat sans bavures dans la zone de décélération. La meute est lâchée, il ne seront plus que 14 à l'arrivée 24 heures plus tard.
33 Porsche, 10 Ferrari et les 6 autres
Sur la grille de départ, 33 des 49 voitures sont des Porsche car aux Sport et aux Prototypes, j'ajoute une meute de 911 et un couple 914. Chez Ferrari, les huit 512 M sont accompagnées d'une 512 S plus très fraîche et d'une toute récente 365 GTB Daytona. Grandissimes favorites, les Porsche 917 vont, grâce à de nouveaux raffinements techniques, repousser toutes les limites sur le circuit du Mans et achever en beauté l'ère des années folles de l'endurance.
Face aux 917 sculptées pour la vitesse et atteignant 385 km/h dans la ligne droite, Ferrari peut compter sur deux 512 de pointe profondément modifiées : l'impeccable bleue et jaune du Penske Racing et la rouge et blanche de la Scuderia Filipinetti à la carrosserie totalement remodelée. Dès les premiers essais, les Ferrari sont surclassées en vitesse de pointe par les Porsche à qui elles rendent plus de 40 km/h. Sans pouvoir approcher les temps des 917, les Ferrari se classent honnêtement sur la grille, avec cinq voitures dans les dix premières, la meilleure, celle de Penske, prenant la 4ème place à 3"6 de la pôle de Pédro Rodriguez.
Ferrari fait illusion
Les trois 917 longues jouent les lièvres dès le départ avec dans leur sillage Donohue et sa Ferrari bleue et Vaccarella et sa Ferrari jaune. Le premier ravitaillement n'aurait pu constituer qu'une césure, ce fût en réalité une coupure. Les Porsche plus rapides sur la piste le sont aussi à leurs stands. L'issue de la course semble alors entendue. Débarassées prématurément de la Ferrari Sunoco, ayant distancé celle de Parkes / Pescarolo comme celle de Vaccarella / Juncarella, les trois 917 peuvent envisager une nuit tranquille. Vers 21 heures, soit une heure après l'abandon de la Ferrari de Penske, la 917 de Larrousse / Elford est éliminée par la rupture de la fixation de la turbine de refroidissment.
L'espoir Matra
La nuit est idéale, pas de pluie et une visibilité parfaite tout au long du circuit. Coup sur coup, les deux 917 longues de John Wyer, vont être retardées par la rupture des roulements de moyeux arrière. Chez Porsche c'est la débâcle. Les trois 917 longues hors jeu, Attwood / Müller au stand, pignon de 5ème cassé, c'est la 512 M de Vaccarella / Juncarella qui contre toute attente prend le commandement à la mi-course. Bien sûr ce ne fût qu'un feu de paille. La maladie de transmission qui, déjà avait accablé tant de ses soeurs ruina les ambitions de la belle Ferrari.
Dès 4 heures du matin, Marko / Van Lennep tenaient solidement le commandement. L'aurore pointe et soudain un fol espoir naît. La Matra est seconde derrière la Porsche. Et si elle gagnait ? Durant près de trois heures, la vaillante trois litres va conserver sa seconde place. Mais son rythme va baisser car le moteur ratatouille. Amon va s'arrêter pour changer sa platine d'allumage, puis ses bougies, mais hélas quelques tours plus tard, Mulsanne téléphone : la Matra a stoppé.
L'année des records
Ses principaux rivaux disparus, il restait à Porsche à battre les chiffres. C'est la chute du record absolu qui donne sa vraie dimension à cette victoire. Van Lennep et Marko ne font pas que gagner le Mans : ils établissent un record absolument fabuleux après avoir parcouru 5 335,313 km à l'ahurissante moyenne de 222,204 km/h. Certes, par miracle aucune goutte d'eau ne fut fidèle à son habituel rendez vous sarthois. Au petit matin même le brouillard qui couvrait la zone Arnage-Maison Blanche ne fut pas gênant.
Les modifications apportées ensuite tant aux voitures qu'au circuit de manière à ralentir les bolides devenus trop dangereux laissèrent longtemps imaginer que jamais cette performance ne serait battue. Elle le fût pourtant en ... 2010. Sur ce circuit où deux ans plus tôt, elles effrayaient autant les commissaires que leurs pilotes, les 917 se révélèrent presque dociles et faciles à conduire. Porsche achevera sa saison par un troisième titre mondial consécutif et un cinquième titre dans le Challenge Mondial d'Endurance. Cette époque glorieuse s'achèvera pourtant dans la tristesse par la mort des deux pilotes emblématiques des 917, Pedro Rodriguez au mois de juillet et Jo Siffert en octobre pour qui le Mans manquera définitivement à son glorieux palmarès.
Les films de la course