Les 24 heures du Mans 1972

Matra 670 Le Mans Miniatures, Porsche 908 SRC, Lola T280 Sloter, Ferrari 365 GTB/4 Fly

Matra 670 Le Mans Miniatures, Porsche 908 SRC, Lola T280 Sloter, Ferrari 365 GTB/4 Fly

10 et 11 juin 1972 - La 40ème édition des 24 heures du Mans
La victoire en bleu

Un nouveau départ

Tout est nouveau ou presque pour cette 40ème édition : circuit et règlement. Modifié au niveau de Maison Blanche, le tracé s'enrichit d'une nouvelle portion très technique qui a été unanimement saluée par les pilotes et qui porte la longueur du circuit à 13,640 km au lieu de 13,469 km. Sur le second point, la CSI a décidé, au nom de la sécurité, de bannir les Sports 5 litres au profit des seuls Prototypes 3 litres pour la saison 1972. Ferrari, qui a parfaitement préparé son affaire avec la nouvelle 312 PB, est le grandissime favori du Championnat, mais personne n'aurait imaginé une telle domination. Avec dix victoires en dix courses, les voitures italiennes ont véritablement laminé leurs rivales. Pour les 24 heures du Mans, avec Matra, Alfa Roméo, Lola, candidats à la victoire, le plateau s'annonce somptueux.

Le duel annoncé n'aura pas lieu

Aux essais d’Avril, Mauro Forghieri fait le déplacement avec les deux voitures qui ont signé le doublé à Daytona. Ickx, Regazzoni et Merzario se relaient essayant quatre configurations de capots arrière différents. Ickx signera le meilleur temps du week-end en 3'40"4 à 222,794 km/h de moyenne. Pourtant le sentiment est mitigé chez Ferrari car l’écart avec le Matra 660 est peu important et on sait que la nouvelle 670 sera plus compétitive. En dépit de ces réserves, la  stratégie de la Scuderia est annoncée : quatre voitures identiques seront choisies parmi les sept utilisées en championnat, un capot arrière long testé sur autoroute a été retenu, une boîte plus solide est prévue ainsi qu'une préparation moteur adaptée à une course de 24 heures. Tout semble se présenter au mieux pour Ferrari et pourtant, une semaine avant le pesage, le forfait est annoncé.

Pourquoi une équipe à priori imbattable a t elle pu renoncer à affronter des adversaires n'ayant encore jamais gagné aucune course en championnat du Monde ? La réponse est à chercher dans les derniers essais effectués à Fiorano qui ont montré des faiblesses dans la transmission et des 46 litres d'huile consommés par Ickx / Andretti pour parvenir au terme des 12 heures de course à Sebring. La décision donc est prise de ne pas ternir l'impact du titre mondial par un éventuel fiasco au Mans.

Matra favori

Loin de rassurer Matra, ce forfait ne fait qu'ajouter à la pression, car l'équipe française n'a plus devant elle que trois Alfa Romeo et deux Lola privées, Mirage ayant également renoncé.  Matra se retrouve en position de grandissime favori, sans le moindre excuse en cas de défaite. La préparation a été particulièrement soignée pour ce rendez-vous avec les 24 heures. Matra a lancé la construction de trois nouvelles 670 animées par le V12 de 450 cv. Spécialement conçue pour "durer" , la monocoque à moteur porteur s'est dotée de pièces renforcées et d'un équipement électrique généreux. Les deux 670 de Beltoise / Amon et de Pescarolo / Hill arborent un capot arrière court, alors que la 670 de Cevert / Ganley, ainsi que l'ancienne 660 de Jabouille / Hobbs disposent de capots longs.

24 heures du Mans 1972 - Matra, Alfa Romeo, Lola - Les favoris dans l'ordre au départ

24 heures du Mans 1972 - Matra, Alfa Romeo, Lola - Les favoris dans l'ordre au départ

Les forces en présence

Principal adversaire de Matra, Alfa Romeo aligne trois 33 TT3 à moteur V8 (430 cv) pour De Adamich / Vaccarella, Elford / Marko et Stommelen / Galli qui sont dotées pour l'occasion de carrosseries longues. En position d'outsider, Lola aligne par le biais de l'Écurie Bonnier, deux T 280 à moteur Ford Cosworth Fl pour Bonnier / Van Lennep et Larrousse / De Fierlant. À la surprise générale, un coupé Porsche 908 à carrosserie longue débarque au pesage. Officiellement engagée par Joest, cette voiture bénéficie en fait du soutien aussi total que discret de l'usine. Superbement préparée, bien profilée, elle étonne en se montrant aussi rapide que les Matra dans les Hunaudières. Enfin, la catégorie Sport 3 litres se complète de cinq Porsche 908-2 plus très fraîches, de la nouvelle Duckhams à moteur Ford Cosworth et de trois Ligier JS 2-Maserati, plus proches dans l'esprit des GT.

En moins de deux litres, une Lola retrouve deux Chevron dont une pilotée par un débutant dont on reparlera nommé Jean Rondeau et deux Porsche (910 et 907). En GT, la bataille s'annonce somptueuse. Pour la première fois depuis longtemps, les Porsche 911 ne sont plus seules. Les sept voitures, dont une très rapide pour Kremer / Fitzpatrick, doivent faire face à une forte coalition de Chevrolet Corvette, de De Tomaso Pantera et de Ferrari Daytona. Ces dernières sont au nombre de dix : trois pour le NART, deux pour Ferrari France et pour la Scuderia Filipinetti, une pour Francorchamps et Maranello Concessionaires. Une distribution qui n'est pas sans rappeler la grande époque des 250 GT et GTO.

Outre les fidèles Henri Greder et Marie-Claude Beaumont, le clan Corvette peut compter sur trois voitures venues des USA alors que la prestation des quatre De Tomaso Pantera à moteur Ford 5,7 litres est également très attendue. Une jolie Ferrari Dino 246 GT complète le plateau, avec des ambitions nettement plus modestes. Enfin, grande nouveauté, les Tourismes Spéciales sont désormais invitées. Très spectaculaires, les trois Ford Capri 2600 RS « usine » s'imposent déjà comme des animatrices de premier plan notamment avec des hommes comme Mass, Stuck ou Birrell. Une BMW 2800 Schnitzer représente leur seule opposition.

Inquiétude chez les bleus

Les trois Matra 670 s'emparent non seulement des trois premières places sur la grille, mais font preuve d'une telle supériorité en vitesse et en tenue de route que la cause semble entendue dès les essais. François Cevert, auteur de la pôle a rejeté la première Alfa Romeo (Stommelen) à plus de 5 secondes et la première Lola (Larrousse) à près de 8 secondes ! Au départ, donné par le président de la République Georges Pompidou, les trois Matra s'envolent comme prévu. Le train bleu est sur les rails mais, à l'amorce du 2ème tour, des flammes émergent du capot arrière de la voiture de Beltoise, qui se range, moteur cassé. L'inquiétude de voir le phénomène se produire en chaîne sur les autres voitures tétanise tous les membres de l'équipe. En plein doute, les Matra baissent légèrement de cadence, pour attendre, se rassurer. De Fierlant ne laisse pas passer l'occasion et prend le commandement. Le baroud d'honneur de la Lola durera une heure avant que la transmission ne cède.

À partir de 18 h 30, les choses rentrent dans l'ordre. Les deux Matra de Pescarolo et Cevert devancent les deux Alfa de Vaccarella et Stommelen, mais nouveau coup de théâtre, la 660 ne passe plus. Elle est en panne d'essence et Jabouille perd cinq tours pour rejoindre son stand. À la tombée de la nuit, les positions se figent. Les Alfa n'offrent pas la résistance escomptée, lâchant même un tour à l'heure sur les Matra, alors que la Lola rescapée est ralentie par de multiples ennuis. Les choses ne s'arrangent pas pour les voitures italiennes qui connaissent de gros problèmes d'embrayage et Jabouille auteur d'une belle remontée complète le tiercé Matra de tête peu après la mi-course.

À 8 h du matin, alors que Pescarolo et Cevert caracolent en tête dans le même tour, un drame se joue entre Mulsanne et Arnage. Jo Bonnier, qui a adopté un rythme très soutenu au volant de sa Lola revenue à la 8e place, s'accroche avec une Ferrari Daytona. La frêle barquette s'envole dans les arbres ne laissant aucune chance de survie à son pilote.

24 heures du Mans 1972 - Matra 670 #15 - Pilotes : Graham Hill / Henri Pescarolo - 1er

24 heures du Mans 1972 - Matra 670 #15 - Pilotes : Graham Hill / Henri Pescarolo - 1er

La décision viendra du ciel

Peu avant midi, alors que Pescarolo remonte sur Ganley, malgré le panneautage du stand Matra qui veut éviter une bagarre dangereuse entre équipiers, un violent orage éclate. Graham Hill qui a fait monter des pneus mixtes au moment de son relais revient très fort sous la pluie et lorsque Ganley s'arrête à son tour, pour changer de pneus, il prend la tête. Le retard de la seconde Matra va alors se creuser considérablement après que Ganley ait été heurté par la Corvette de Marie-Claude Beaumont sous le déluge.

Désormais, Pescarolo / Hill comptent neuf tours d'avance sur Cevert / Ganley et dix sur Jabouille / Hobbs. Matra manque toutefois le triplé. Boîte de vitesses bloquée, la 660 de Jabouille capitule à une heure de l'arrivée, mais qu'importe, en prenant les deux premières places, l'exploit est de taille et le pari gagné. Merveilleuse de régularité, la Porsche 908 de Joest / Casoni / Weber prend la 3ème place devant une Alfa Romeo à bout de souffle, qui ne devance que d'un tour la Ferrari Daytona de Ballot-Léna / Andruet, victorieuse en GT, après un beau duel avec sa « cousine américaine »

Les films de la course